Charles Collignon extrait 3

Extrait du récit de Charles Collignon  “Inor mon village”

Charles Collignon est un habitant d’Inor qui fut témoin indirect des premiers jours de l’occupation allemande dans cette localité.  Il est bien connu à Inor pour avoir publié en 1964 un opuscule intitulé “Inor, mon village”.
Le texte, ci-dessous, est retranscrit à l’identique de celui de l’opuscule.

“Le village est complètement vide de Français.” Car d’autres éclaireurs ont fait de même dans l’autre partie du village.
Voici encore six cavaliers. Tous les habitants sont rentrés chez eux. Une demi-heure se passe. Tout à coup voici l’infanterie. Elle débouche de tous les côtés, par le chemin de Malandry, par le sentier des Vignes en face de chez nous, par le jardin Dumont, par la croix.
Elle se range sur le côté gauche de la route tout près de nos maisons, sans un cri, sans un mot, presque sans bruit. Maintenant, dans notre rue il y a à peu près un demi-bataillon. Un coup de sifflet, et la colonne se met en marche vers Moulins.

Quand la tête de colonne eut dépassé le mur des Basses Vignes, la fusillade éclata. Les Français sont dans le champ de la ferme de Prouilly, dans une tranchée, cinquante mètres au-dessus de la voie ferrée, mais ils sont peu nombreux, car cette tranchée pouvait à peine abriter une demi-compagnie. D’ailleurs, cette fusillade cesse. Voici un blessé qui redescend porté par deux soldats.

Mais voici qu’elle reprend plus vive. Elle vient cette fois de la direction des Pâquis. Ce sont les Allemands qui sont derrière le mur de soutènement du jardin du château et qui ripostent. Cette fusillade va durer presque toute la journée, mais en se déplaçant, c’est-à-dire en allant de plus en plus vers Martincourt.

Voici la voix du canon qui se mêle au vacarme. Elle vient de Soiry, et même plus à gauche vers Autreville, et ce sont eux qui vont faire évacuer les Français de leur tranchée de la ferme et de la tête du bois du Gros Chêne. Les Allemands en profitent pour occuper les Basses Vignes et y creuser les tranchées de sécurité pour l’établissement du pont.

Ils ont choisi l’emplacement de ce pont : soixante mètres en aval de la fontaine du Grand Jardin. L’éperon de l’Orme étant occupé par leur artillerie, ils sont en sûreté du côté nord-ouest et ne peuvent être vus du côté sud-ouest. C’est donc un emplacement bien choisi.
Vers onze heures, voici probablement toutes les troupes qui sortent du bois et affluent par toutes les gorges dont j’ai parlé, car voici nos 75 qui sont à Maison-Blanche qui hurlent “à gueule que veux-tu”.
Les obus sifflent au-dessus des maisons et éclatent derrière “les Jardins”. Tout le monde est dans les caves. Ce furent les équipages du pont qui descendirent les premiers, mais arrivé à la “Fourchette” ils obliquèrent à droite à travers les vignes et vinrent aboutir au chemin des Basses Vignes. Ce sera le chemin que suivront les convois.

Cependant, l’artillerie entre dans le village et à midi toute notre rue était remplie de canons. A deux heures,elle se mit en marche et le pont devait être terminé, car à trois heures elle était en batterie et tirait à cent mètres au-dessus de la tranchée des Français du matin, bien à l’abri par la corne de Jaulnay.

Certainement à cette heure, la corne était à l’ennemi. D’ailleurs le centre de la fusillade était Luzy. La bataille d’Inor était terminée. Cependant nos 75 tiraient toujours sur les troupes, sur les convois qui descendaient du bois.

Et de tout ce tapage, combien y eut-il de morts ? Les hommes de corvée ont enterré un homme dans les Basses Vignes et, sur tout le territoire, une quarantaine de chevaux. Il est probable qu’une partie de ces chevaux avaient des cavaliers, mais on n’en a ni rien su ni rien vu.

Quant aux dégâts matériels, ils furent nuls. Une demi-douzaine d’obus est tombée dans le village. Ils provenaient certainement de coups de réglage et se groupaient autour de l’église. Un vitrail fut brisé, des éclats éraflèrent également le mur de la coopette et la maison de Victor Bureau. Un autre obus fit un trou dans la toiture d’Henriette Dumont et vint tomber sur un tas de foin, ce qui produisit un éclatement incomplet et mon père a pu me rapporter le fût et la fusée. Un souvenir.

Telle fut au point de vue strictement militaire la bataille d’Inor. Ce ne fut comme on dit vulgairement qu’une “fouette”.

Or, en présence de ces faits, n’est-on pas en droit de se demander : “pourquoi a-t-on détruit nos ponts ?” Là, un dilemme se pose. Où les Allemands s’en seraient servis ou ils ne s’en seraient pas servis. Dans le premier cas, il leur fallait traverser la prairie en plein sous nos 75 de la Maison-Blanche, complètement à découvert au sud, la corne de Jaulnay cette fois ne les abritait plus. Et alors certainement leur artillerie n’eut pas été sur l’autre rive pour trois heures.

Dans le deuxième cas, ils auraient fait ce qu’ils ont fait et nos ponts étaient intacts. J’ai placé ici ces réflexions parce qu’avant la guerre, lorsqu’on voulait faire le moindre travail, une route, un pont, une gare, on entendait toujours ce refrain “le Génie s’y oppose, le Génie par-ci, le Génie par-là, le Génie ne veut pas de piles à notre pont, etc.”
Eh bien ! 80 fois sur 100, ces obstructions étaient systématiques, c’était du bluff. Devant l’expérience, un pont à pile, qui offre énormément d’avantages sur les autres, se détruit aussi bien, sinon mieux que les autres. De plus, il offre sur cet autre l’avantage que la construction de son remplaçant, presque toujours sur pilotis est plus difficile.

Encore un mot. Je n’adresse pas de félicitations aux sapeurs artificiers qui ont fait sauter notre pont de l’arrêt, leur travail n’a réussi qu’à moitié. La seconde coupure, celle du côté d’Inor a raté pour n’avoir pas pris les précautions élémentaires dans le transport de la mise à feu. La commune, de ce fait, gagne une dizaine de mille francs.

Sources :

AM Stenay d’après la retranscription du document fourni par l’abbé Mellier

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